victor sackville
Champagne pour un gentleman espion !
Champagne pour un gentleman espion !
My name is Sackville, Victor Sackville ! tel n’aurait finalement pas pu être la phrase-gimmick prononcée par l’espion britannique des années 1910-1920, imaginé par Gabrielle Borile, qui en scénarisa les aventures avec François Rivière, et qui fut dessiné par Francis Carin. Il aurait été, certainement, rétif, et par sa personnalité et par ses traits, à jouer de façon aussi ostentatoire de son nom et de son rôle.
Pour autant ce sujet britannique, mais made in belgium, ce qui est presque une tautologie dans le domaine du 9e art européen, ne manque ni de charme, tout en réserve, ni de bulles, tout en contexte.
Car, qui dit espion, dit forcément… champagne ! Le raccourci est peut-être facile, en est-il moins juste ?
Dans cet article, nous avons choisi de relire les 24 albums qui relatent les aventures de Victor Sackville, en répertoriant les moments les plus effervescents, et donc, lors desquels le champagne apparait et parfois joue un certain rôle. Une présence dans 13 albums sur 24 qui en dit long tout autant sur le contexte historique des albums que sur les histoires mises en scène.
Pour nous éclairer nous avons interviewé Gabrielle Borile, co-scénariste de la série. Une interview que nous avons disséminée (façon puzzle...) tout au long de l’article .
On a souvent dit que Victor Sackville était une sorte de James Bond de la Première Guerre mondiale. Validez-vous cette comparaison ? N’est-ce pas plutôt un gentleman espion, un personnage qui sied davantage aux années 20, et qui pratique un espionnage en gants blancs (même si on trouve dans certaines planches des scènes de violence) ?
Gabrielle Borile
Sackville est un gentleman espion, j’aime beaucoup votre proposition. Personnellement, j’ai toujours aimé l’espionnage, les films d’Hitchcock, les romans de Graham Greene.
A vrai dire, il faudrait faire un peu d’archéologie pour vous expliquer comment est né Victor Sackville.
Un ami journaliste m’a présenté Francis Caryn vers 1980-81. A l’époque, Francis avait déjà dessiné de nombreuses histoires qui se passaient en 14-18. Mais ce qui m’a frappée quand j’ai lu ces planches, c’étaient que tous les personnages – sans exception – étaient des soldats. Tout se déroulait dans les tranchées ! Et il était finalement assez malaisé pour le lecteur de distinguer les personnages, tous en uniformes avec casques. J’ai tout de suite proposé de lui écrire une histoire qui se passerait à la même époque mais hors des tranchées. L’espionnage était tout indiqué.
C’est peu après que je suis tombée sur un livre très ancien qui parlait de l’entrée en guerre des Etats-unis. Des messages secrets avaient été échangés entre le Kaiser et le Mexique. Une fois décryptés, ils prouvaient clairement que l’Allemagne montait le Mexique contre l’Amérique. C’est devenu le premier Sackville, Le Code Zimmermann.
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié aux Éditions du Lombard en 1986.
Publication initiale dans le magazine Pourquoi pas ? en 1985
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié aux Éditions du Lombard en 1988.
Publication initiale dans le Journal de Tintin en 1988 (du n°648 au du n°657)
On trouve du champagne dans 14 des 23 albums que compte la série. Parfois, il se fond dans le décor, quand d’autres fois il obtient un rôle plus significatif. Est-il la boisson qui s’accorde le mieux à l’univers de Sackville ? Et plus largement à l’ambiance des années 1910-1920 ?
Gabrielle Borile
L’espionnage tel que nous le concevions se déroule dans les coulisses des ambassades, dans les salons mondains, les cocktails. Le champagne fait partie du jeu. Les espions comme Sackville se cachent sous de fausses identités et, pour la bonne cause, ils savent mentir et tricher, jongler avec les apparences.
Il me semble que le champagne reflète un peu la légèreté que Sackville est obligé d’afficher pendant ses missions. Il doit simuler maîtrise et flegme alors qu’en réalité, il se sait exposé aux pires dangers. Quand un espion porte un verre de champagne à ses lèvres et feint la désinvolture, il est en même temps occupé à empêcher un désastre ou le massacre d’une armée. Quel double jeu !
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié aux Éditions du Lombard en 1988.
Publication initiale dans le magazine Hello Bédé en 1989 (du n°1 au du n°7)
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié aux Éditions du Lombard en 1991.
Publication initiale dans le magazine Hello Bédé en 1990 (du n°37 au du n°45)
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié aux Éditions du Lombard en 1992.
Publication initiale dans le magazine Hello Bédé en 1992 (du n°140 au du n°149)
Quelle est la part de la scénariste que vous êtes dans la présence du champagne dans les planches ? Etes-vous parfois intervenue dans la conception des images en demandant à Francis Carin qu'il y place une coupe ou une bouteille de champagne?
Gabrielle Borile
Je n’ai jamais demandé très précisément à Francis Carin de dessiner des coupes de champagne. Mais il est presque automatique de consommer cette boisson quand on place une scène dans un cocktail d’ambassade ou bien chez une comtesse. Et je crois me souvenir que nous aimions cette guerre-là, celle qui se passe dans les salons, ces intrigues de couloirs, ces complots qui se déroulent dans des milieux huppés où le champagne a une place naturelle.
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié chez Le Lombard en 1993.
Publication initiale dans le magazine Hello Bédé en 1993 (du n°172 au du n°181)
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié chez Le Lombard en 1994.
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié chez Le Lombard en 1998.
A partir d’une certaine période vous aviez alterné l'écriture des scénarios avec François Rivière, votre approche étant peut-être davantage cinématographique, hitchcockienne, quand celle de François Rivière pouvait sembler plus littéraire. Or, ne peut-on pas voir dans Le concerto de Bettina (je pense à la scène lors de laquelle Anton se rend à l’anniversaire de von Arnim pour mieux ouvrir son coffre) un clin d’œil à Notorious (Les enchainés, 1946) d'Hitchcock, avec dans les deux cas du suspens à l'occasion d'une réception remplie d'effervescence ?
Gabrielle Borile
Vous avez raison, j’étais une fan d’Hitchcock à l’époque, et je le suis toujours. Quand j’étais jeune, je n’avais pas de magnétoscope, d’ailleurs existaient-ils déjà ? – et en rentrant du Musée du cinéma, je prenais des notes très détaillées sur les films que je voyais. Le déroulement complet du film scène par scène, parfois avec des dialogues, se trouvait ainsi fixé dans mes carnets. A vrai dire, c’est ainsi que j’ai appris à écrire des scénarios. Notorious, je l’avoue, était un de mes films favoris.
Nous avons François Rivière et moi commencé à alterner l’écriture car vers 1992, je suis devenue scénariste pour le cinéma et la télévision et je disposais de moins de temps libre. François habitait Paris, on se voyait moins souvent. On a donc écrit un album chacun à son tour.
La différence de ton est perceptible. J’aimais conserver la tonalité espionnage et donc donner au récit un fonds historique et politique, avec du suspens, un côté réaliste. Alors que François écrivait plutôt dans la lignée des Agatha Christie, plutôt roman à énigme, sans ressentir le besoin de développer le contexte politique de l’époque.
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié chez Le Lombard en 1999.
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié chez Le Lombard en 2000.
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié chez Le Lombard en 2001.
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié chez Le Lombard en 2005.
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié chez Le Lombard en 2007.
François Rivière et Gabrielle Borile (scénario), Francis Carin (dessins) - publié chez Le Lombard en 2008.
Au delà de Victor Sackville, vous êtes scénariste pour le cinéma et la télévision. Dans vos scénarios, avez-vous accordé au champagne un certain rôle ou du moins une certaine présence ?
Gabrielle Borile
Le premier film qu’on m’a commandé Combat de Fauves (1997) se terminait par un cocktail au champagne où Richard Bohringer comprenait qu’il avait été manipulé par des collègues. Mais Benoît Lamy, le réalisateur, mécontent de ses rushs, a fini par couper en grande partie la scène finale. Je crois me souvenir que la fin du film, pour moi absolument insatisfaisante, présente malgré tout l’image des coupes de champagne.
J’avoue que je n’accorde pas une grande importance au choix des boissons de mes personnages. Mais il faut reconnaître que le champagne est une image de marque qui symbolise l’élite, le faste et le succès et qu’il est donc normal que les dessinateurs ou les réalisateurs de films choisissent cette boisson quand, dans un scénario, je propose une soirée festive.
références :
Victor Sackville
Les intégrales Victor Sackville (8 volumes), publiés aux éditions Le Lombard, contiennent non seulement toutes les aventures publiées entre 1985 et 2010, mais également des supplements (interviews ou focus) qui permettent d'en savoir plus sur la création du personnage et de son univers.
Gabrielle Borile
Scénariste de bd, puis pour le cinéma et la télévision, elle a également été journaliste et rédactrice en chef du magazine Tintin reporter